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Lindbergh
Dans la soirée du 21 mai 1927 la foule des Parisiens se précipite à l’aéroport du Bourget (ils sont plus de cent cinquante mille !). On vient de confirmer le survol de Cherbourg.

A dix heures vingt quatre, de nuit, un monomoteur Ryan à ailes hautes, le« spirit of Saint‑Louis » se pose et entame un roulage au sol, éclairé par quelques projecteurs.
 
   
 
Il vient de franchir sans escale l’Atlantique Nord en trente trois heures trente minutes et trente secondes.

C’est un exploit physique et moral: Lindbergh est resté plus de quarante huit heures sans dormir (il n’a pu trouver le sommeil avant le départ, et il a connu les hallucinations à trop lutter contre le sommeil). Il a joué sa vie face aux intempéries et aux nombreuses difficultés. A entreprendre cette traversée en monomoteur, et, faut-il le rappeler, sans l’assistance d’un pilote automatique, il s’est surtout exposé au risque fatal de la panne.

Il est permis de penser qu’à l’instant de l’atterrissage tout va changer, pour le pilote comme pour la planète terre.
 
     
 
Le pilote a relevé le défi du prix Raymond ORTEIG, philanthrope Français nationalisé Américain, doté de 25000 $. Ce prix, lancé en 1919, promettait de récompenser le premier pilote qui réaliserait un vol transatlantique sans escale entre New York et Paris.

De nombreux autres ont échoué avant lui, en équipage, et avec des machines plus lourdes. Lui, il réussit en solo, avec une machine simple, légère, sur la fiabilité de laquelle il a travaillé avec le constructeur.

Il démontre que la traversée de l’Atlantique Nord sans escale est possible. En passant, il fait pencher la balance sur les mérites respectifs de l’hydravion et de l’avion, en faveur de ce dernier.
 
 
   
  La foule en délire s’approche dangereusement de l’hélice (Photo Safara)  
 

La foule en délire s’approche dangereusement de l’hélice et, sagement, le moteur est coupé. Descend alors de l’avion un très grand et très jeune homme, un peu dégingandé, dont les yeux cernés laissent percer un regard lointain et timide à la fois.
Un héros est né.

En cette année le cinéma vient de marier le son à l’image, et la geste de Lindbergh va être diffusée mondialement sur les écrans. Charles Augustus Lindbergh en est une de ses premières stars. Hélas il sera aussi un des premiers à connaître cette espèce de châtiment que le monde moderne inflige à ses célébrités : La traque par ceux que l’on appellera plus tard les paparazzi, et plus dramatiquement, le rapt d’enfant.

Lindbergh est né à Détroit le 4 février 1902 d’un couple mal assorti. Son père, d’origine suédoise, juriste, sera représentant au congrès des Etats‑Unis (député), de tendance de gauche. Sa mère, beaucoup plus jeune que son époux, professeur de sciences, se séparera de celui‑ci.
Cette situation familiale du jeune Lindbergh, l’atavisme Suédois, et la rigueur du climat de Little Falls, berceau de son enfance dans le Minnesota, peuvent expliquer cette personnalité volontaire, solitaire, et réservée.

Après un médiocre début d’études d’ingénieur, et malgré des dons pour la mécanique et un esprit inventif, il abandonne celles‑ci. Il devient élève pilote dans une école privée du Nebraska. Il fait son premier vol, comme passager, à l’âge de vingt ans. L’année suivante, avec l’aide de son père, il emprunte 900 $ et achète un avion des surplus de la première guerre mondiale. C’est un Curtiss "Jenny", délabré, à moteur de 90 cv, capable d’une vitesse de croisière de seulement cent dix kilomètres à l’heure !!!
Il fera avec cet avion une tournée de barnstormers.

En 1924, souhaitant pouvoir voler sur des machines très performantes, il s’engage dans l’armée de l’air (comme « Army flying cadet ») et connaît alors un début de révélation. Il termine sa formation de pilote brillamment et en mars 1925 il sort premier au classement de l’U.S. Advanced Flying School, Kelly Field, San Antonio. Il n’y a pas d’embauche et il n’a d’autre choix que de quitter l’armée comme sous‑lieutenant de réserve.
En 1925 il va faire partie des pionniers du courrier postal aux USA. Il devient chef pilote de Robertson Aircraft Corporation, entreprise qui vient de se voir attribuer le deuxième contrat gouvernemental de transport du courrier (CAM-2, Contract Air Mail numéro 2, route entre Chicago et Saint-Louis). Les conditions sont extrêmement difficiles : Rigueur du climat, vols de nuit, pannes de moteurs. De nombreux pilotes y laissent leur vie. Lindbergh sauvera la sienne par deux fois en sautant en parachute, dont une fois de nuit. Cette nuit là il se trouve à court de carburant car on lui a remplacé son réservoir de 110 gallons par un de 80 sans le lui dire !. Il en est alors à sa troisième évacuation d’urgence en parachute , laquelle sera suivie, six semaines plus tard, d’une quatrième évacuation, un record!!!

Après l’atterrissage au Bourget, la vie de Lindbergh entre dans un tourbillon. Une tournée en Europe, et surtout une autre aux Etats-Unis, lui procureront triomphe, au sens romain, et la fortune.

Il se fera défricheur de lignes aériennes pour Pan Am (alors sous la férule du mythique Juan Trippe) et de Transcontinental Air Transport (…future TWA dont le patron sera le non moins mythique Howard Hughes). Lors d’une escale à Mexico il y rencontrera sa future épouse, Ann Morrow, fille d’un banquier ambassadeur des Etats-Unis au Mexique. Il lui apprendra à piloter (elle sera la première américaine à obtenir un brevet de pilote de planeur). Il lui apprendra à naviguer et à faire le métier de radio et ensemble ils feront un raid autour du monde. A leur retour ils connaîtront les affres du rapt crapuleux dont s’ensuivit la mort de leur premier enfant.
Il s’intéressera au progrès de la science et collaborera aux travaux d’un très grand médecin Français, le professeur Lyonnais Alexis Carrel, prix Nobel de médecine, dont il deviendra l’ami. Il fera la promotion des premiers travaux de l’américain Goddard sur les fusées .

La famille Lindbergh est harcelée par les media, et Lindbergh choisit alors la voie de l’exil, pour lui et sa famille : En Angleterre dans un premier temps, puis sur l’île Bretonne d’Illiec, sur les côtes d’Armor, qu’il achète et qui le rapproche d’Alexis Carrel.

De même que Mermoz s’est engagé dans le mouvement « les croix de feu »du Colonel de La Roque, et de manière comparable à celle de Saint Ex qui refusa de rejoindre les gaullistes, Lindbergh, en conflit ouvert avec l’administration Roosevelt, a milité pour le mouvement « America first » qui s’opposait à l’entrée des Etats‑Unis dans le conflit mondial.

Il avait auparavant fait une tournée officielle au Reich Hitlérien. Le Maréchal Goering le reçut et le décora de l’aigle Allemand. Lindbergh fut à juste titre impressionné par le niveau de développement de l’aviation Allemande. Ignorant, comme il est permis de penser, la logique exterminatrice du régime Hitlérien, il était persuadé que le Reich était un rempart contre le communisme et le spectre de son développement. Il s’égarera dans des écrits mettant en cause la communauté juive américaine.

Le président Roosevelt mettra en cause publiquement sa loyauté et il connaîtra alors la condition de proscrit. L’idole est déchue. Lindbergh démissionne de son poste de Colonel de réserve dans l’Air Corps (future US Air Force). Au lendemain de l’attaque Japonaise sur Pearl Harbour, il offre de réintégrer l’armée pour participer aux combats, mais cette réintégration lui est refusée. Il perd la plupart de ses postes de conseiller, sauf celui d’Henry Ford lequel lui garde sa confiance comme consultant pour la production du premier bombardier Ford.

Pour autant il fera une très belle guerre dans le Pacifique après que l’US Navy l’aura enrôlé comme conseiller technique civil, en cachette de l’administration Roosevelt. Il ira au feu et le civil Lindbergh apportera sa contribution déterminante pour la réalisation des longs raids, par l’enseignement aux pilotes de l’Air Corps d’une meilleure conduite des moteurs du P38 Lightning (l’avion du dernier vol de Saint Ex).

Grand déçu par l’évolution qu’a connu l’aviation, il s’inquiètera alors des changements du monde et des conséquences non maîtrisées du développement. Il militera jusqu’à la fin de ses jours pour la préservation de la planète.

Cette vision du monde, particulière aux aviateurs, que leur inspire cette vue de là-haut, empreinte d’un mélange de naïveté et de foi en l’homme, comme d’autres pilotes, Lindbergh la mettra par écrit sur une tonalité moralisatrice :

«Autobiography of values», qui fut publiée de manière posthume.

Il y donne sa première perception de la vie de pilote :
« La vie d’un aviateur me semblait idéale. Elle impliquait du savoir-faire. Elle apportait l’aventure. Elle empruntait à la science ses développements les plus récents. Alors que les ingénieurs étaient comme enchaînés dans les usines à y dessiner des plans, les pilotes goûtaient la liberté du vent à la découverte du ciel. Il se trouvait des instants dans un aéroplane où j’avais l’impression d’avoir échappé à la mortalité à regarder d’en haut la terre comme le ferait un dieu » 

- Traduction de l'auteur

Les changements du monde et l’évolution de l’aviation transformeront le regard qu’il porte sur celle‑ci. Dans une lettre à son épouse, il exprime sa déception : « Je ne peux m’habituer à la facilité avec laquelle on parcours le monde aujourd’hui. Il n’y a plus d’effort à fournir. Pour ce qui est du pôle, de l’équateur, des océans, des continents, il ne s’agit plus que de savoir dans quelle direction pointer le nez de ton avion. La joie pure du vol en tant qu’art a fait place à l’efficacité froide du vol en tant que science…. Et cette science isole l’homme de la vie, détachant son esprit de ses sens  Le pire est qu’elle ne tardera pas à anesthésier ses sens au point qu’il ne sache plus ce qu’il manque».

- Traduction de l'auteur

Il fera le constat du risque d’acculturation…
«  Le primitif devient à la merci du civilisé dans notre vingtième siècle, et rien ne l’a tant permis que l’avion, dont j’ai aidé à son développement . J’ai favorisé le changement d’environnement de nos vies »

- Traduction de l'auteur

…. Et de l’uniformisation qui l’accompagne :
«  Les nouveaux immeubles de Beyrouth, Rio, et Chicago se ressemblent tous. Les émeutes et le crime à Washington ne sont pas différents de ceux de Manille »

- Traduction de l'auteur

C’est en bonne logique qu’il s’opposera publiquement au coûteux développement de l’avion de transport supersonique soutenu par l’administration Nixon.

Et le pionnier du courrier postal, le héros de l’Atlantique Nord, le premier« man of the year » de Time Magazine, déchu par des prises de position politiquement incorrectes, Lindbergh l’écologiste, finira par écrire sans détour :
«Si je devais choisir, j’aurais des oiseaux plutôt que des avions».

- Traduction de l'auteur

Oui, à n’en pas douter, le héros timide, Charles Augustus Lindbergh, comme tant d’autres pionniers de l’aviation, a connu l’amertume des grands espoirs déçus.
A soixante douze ans, il meurt d’un cancer, en reclus fortuné, sur une île du Pacifique, où il est enterré.